Les sorcières du Jonkeu

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Aujourd’hui nous regardons avec mélancolie les ruines du vieux château de Franchimont dont nous évoquons le plus souvent le passé historique brillant. Nous pensons à la belle prestance qu’il avait autrefois, au prestige et à la puissance dont il était le symbole. Nous ne voyons ainsi qu’un côté des choses, mais il y en a un autre, celui de la justice des XVIème et XVIIème siècles. Il n’était pas drôle. L’époque elle-même avait une allure mystérieuse, son atmosphère était lourde et marquée au coin du mysticisme énervant et de l’hallucination collective. De nos jours, la médecine donne à ce phénomène le nom d’hystérie.

Dans nos archives, on retrouve avec saisissement les marques d’un monde fantasque : celui des sorcières. Ce qui relève aujourd’hui de la légende et qui alimente une bonne part des dessins animés pour la télévision enfantine, était, en ce temps-là, une réalité effrayante qui maintenait sur le dos des manants une terreur quotidienne. Ce temps d’angoisses maladives, de pratiques diaboliques, de machinations inouïes, d’étranges orgies, d’adorations fanatiques de sorciers et de sorcières peut s’expliquer par la pauvreté, par la misère des populations analphabètes. Celles-ci, abruties par leur dénuement et leur impuissance imaginaient volontiers des interventions miraculeuses par le truchement de sorcières qui leur distribuaient des philtres, de formules secrètes, des breuvages narcotiques. Ces sorcières, en somme, furent des « exploiteurs du peuple » avant la lettre.

Le danger était grand pour les fondements de l’église, mais les moyens de répression étaient à la hauteur des circonstances. La grande affaire, pour ces gens malheureux, était d’éviter à tout prix d’être suspecté de sorcellerie. Chacun s’observait, se méfiait, se surveillait. Une parole, une attitude, un geste insolite, un comportement inhabituel, une insulte corsée pouvaient rendre suspect d’hérésie. Une querelle de femmes par exemple où l’une traitait l’autre de « macrale », pouvait déclencher une enquête, un interrogatoire, voire un procès dont on peut difficilement se faire une idée de nos jours. Le Marquisat de Franchimont, on s’en doute, avait son contingent de « macrais » et de « macrales ». L’officier de Franchimont avait du pain sur la planche et la justice était sans pardon.

Le seul fait d’être suspecté, à tort ou à raison, faisait courir le risque d’être livré à la torture puis au feu. La « question » était d’une cruauté forcenée, les malheureux ainsi tourmentés finissaient par accuser des complices imaginaires, livrant du même coup, une nouvelle fournée de martyrs à l’impitoyable interrogatoire qui précédait le procès. Celui-ci n’était pas une petite affaire, il avait son apparat et son formalisme déclamatoire.

Nous prenons trois cas parmi beaucoup d’autres :

Ancienne haute cour de justice de Theux au marquisat de Franchimont, touchant la sorcellerie – an 1576.
-« … l’équestre transportée par Nous, Échevins de Theux … … visant les arts magiques, bénéfices, enchantements malins, comportements diaboliques et artifices surnaturels, colludant par accointances avec les esprits malfais et sataniques si dangereux, approuvons que les personnes de tels faits et arts suspects et coupables soient exterminées selon les lois divines et humaines tant escrits que observées par toute le pays partant le dit Officier de Franchimont… »

La terreur était si grande que des prêtres eux-même pouvaient se voir convaincus de sorcellerie et comme tels livrés à cette justice de traqués. L’exemple de Jean Delvaux, moine de Stavelot, est significatif à cet égard.
En mars 1595, ce religieux de l’antique et très célèbre monastère de Stavelot avait été soupçonné de sorcellerie. « Il fut jeté en prison par son prieur, le prélat Ernest de Bavière. Comme abbé par administration du Monastère, il me donna la commission de me rendre à Stavelot. Là je m’approchai de cet homme qui, lors de la tyrannie du démon, …

L’étonnant, c’est que cette dure répression ne parvenait pas à faire disparaître les pratiquants de magie. Un acte de 1608 est, à cet égard, d’une précision indiscutable :
-Ernest, par la grâce de Dieu, … à tous nos hauts officiers, leurs lieutenants, Mayeurs et ceux de nos vassaux, salut!
Comme à grand regret, nous apercevons notre Pays de Liège se remplir de sorciers et de sorcières l’extirpation desquels est un sacrifice agréable à Dieu et un point de nécessité pour la conservation des créatures…

Les sorcières étaient beaucoup plus nombreuses que les sorciers. Elle témoignaient, dans cet « art » d’une habileté incontestée. Nous reprenons quelques actes cités par nos historiographe et qui sont éloquents :

Anne Beldel a été appréhendée comme sorcière et conduite à Franchimont où elle a souffert la torture.
-Franchoise, femme du grand Henry de Creppe, avec quatre de ses enfants furent brûlés pour macquereaux et macquerelles sur le Jonkeu (1611)
-J’ai donné à Lieutenant de Franchimont 40 florins Brabant pour avoir fait exécuter des sorcières (1615)
-Les bourgemestres de Jalhay, de Sart et de Spa étaient requis de payer « leur part des dépenses engendrées à l’endroit des sorcières exécutées sur le Jonkeu

C’était sur la plaine du Jonkeu, en effet, qu’on dressait les « autodafés ».Là les condamnées étaient liées à un poteau et brûlées vives dans les souffrances qu’on imagine.

Sur le Jonkeu, le bûcher restait allumé en permanence, car il servait pour les cinq bans du Marquisat de Franchimont. La population était invitée à venir assister au supplice, non pour lui offrir une récréation sadique, mais pour la frapper de terreur et lui enlever l’envie de se laisser tenter par les maléfices des sorcières.
Texte de Pierre Lafagne, précisions et extraits de LF Dethier et Albin Body

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