Tyribus était le fou que ,suivant l’usage du temps, un Seigneur de Franchimont s’était attaché à sa personne, aimant consulter et se divertir de ses boutades. Au Château, le personnage faisait la pluie et le beau temps, car le maître de céans s’ébaudissait toujours de ses réparties bouffonnes; quand, de retour d’une réunion orageuse de la table des quatre seigneurs qui se tenait en « Piette en Fagne » ou d’une chasse infructueuse, seul, Tyribus trouvait grâce devant lui et parvenait, par ces facéties, à le dérider. La vie du château se déroulait donc dans un calme relatif, quand, par une nuit sombre, les habitants de la région furent réveillés par des bruits inquiétants qui venaient du sommet de la montagne située à gauche de la forteresse. Se poursuivant par intervalles des miaulements des sifflements formidables alternaient avec des plaintes douces et prolongées, comme sortant d’un gigantesque hautbois; de temps à autre, des lueurs sinistres apparaissaient ici et là. Le sire de Franchimont éveillé en sursaut et croyant à une nouvelle incursion des Limbourgeois sur sont territoire, alerta la garnison et au matin envoya un détachement des soldats sur les hauteurs voisines afin de se rendre compte de la situation. Les hommes d’armes ne remarquèrent rien d’anormal et revinrent faire leur rapport en conséquence. La nuit suivante le vacarme se reproduisit de la même façon, sans toutefois laisser d’indice. Le chatelain intrigué et surtout inquiété par ces faits mystérieux, ne prêtait plus attention aux pitreries de son fou, qui, froissé dans son amour-propre résolut de se rendre une nuit sur la montagne pour essayer de percer le mystère, mais celle-ci demeurant muette pendant plusieurs nuits, son projet ne fut pas exécuté. Hélas ! Le silence ne fut pas de longue durée; une nuit, dans l’obscurité on aperçu au sommet du mont comme de grandes « loum’rottes » aux yeux menaçants; était-ce simplement une hallucination, mais ce qui est certain, c’est qu’au matin rien ne subsistait de ces visions. Le Seigneur du lieu ne décolérait pas plus et croyait à des diableries; c’est alors que le bouffon parvint à le faire convaincre de faire construire sur cette montagne un fortin et d’y établir un poste de guet; travail qui fut fait sans délai. Après quelques nuits tranquilles, les mugissements reprirent de plus en plus fort et au matin, les guetteurs revinrent tout désemparés pour annoncer à leur chef qu’ils avaient été fortement secoués et que le fortin n’était plus que des décombres. Ils ne purent donner d’autre explication; la démolition s’était effectuée subitement, sans cause apparente. Le maître de Franchimont, dans une rage folle et impuissante, fit reconstruire un fortin plus solide mais qui subit le même sort que le précédent. Entre temps, la nouvelle de ces événements se répandait dans toute la contrée, la population s’alarmait de ces singuliers phénomènes. Quelques anciens du pays prétendaient se souvenir avoir entendu leurs vieux parent parler de faits analogues qui se seraient passés au même lieu, il y avait bien des années et que lors de ces évènements, plusieurs personnes disparurent tragiquement. On assurait qu’anciennement, au faîte de la montagne, on pouvait remarquer un puits en forme d’entonnoir qui s’était comblé d’année en année. D’après leurs dires, les différents bruits que la montagne émettait, ressemblaient à de formidables « chaw’iètchs » sortant d’instrument à vent (cet ancien mot wallon qui signifie cri aigu, dérivé de « chawé ») Les jours et les nuits se succédaient et ces « chaw’iètchs » ne cessant pas, les gens des environs jetaient souvent des regards inquiets du côté du mamelon démoniaque et ne l’appelaient plus que lu « chawieu mont ».
Au Château, on attendait anxieusement les suites de ces faits anormaux; ces dames et damoiselles apeurées s’attendant à quelque cataclysme, préparaient leurs bagages pour s’évader de leur résidence menacée, quand on constata que le manteau de fougères et de genets d’or qui recouvrait la partie supérieure du mont se desséchait et un jour, les gens de la vallée ne furent pas peu surpris de voir jaillir de la terre une source d’eau quasi bouillante. En présence de ces choses inquiétantes qui lui faisait perdre tout prestige auprès de son maître, Tyribus alla trouver celui-ci et lui fit part de sa résolution de se fixer, pour quelques jours au sommet du chawieumont et de n’en revenir qu’en rapportant la clé de cette énigme. Le lendemain, sur la hauteur, on apercevait un petit drapeau planté par Tyribus et celui-ci circulant. Hélas ! Nouveau mystère notre fou ne revint jamais au Château et chose bizarre, les bruits alarmants diminuèrent d’intensité et finalement cessèrent complètement. On a constaté que depuis lors la montagne mystérieuse était toujours restée muette. Malgré les années écoulées, les habitants de Theux et environs lui ont toujours conservé son ancien nom et de nos jours, sur sa cîme verdoyante, nous pouvons encore y découvrir des vestiges des fortins que fit construire le sire de Franchimont. Espérons qu’un jour viendra certainement où un chercheur consciencieux découvrira dans de vieux documents quelques précieux renseignements qui viendront éclaircir cet ancien mystère de Chawieumont.
D’après un texte de Regn. Tieffels.