A la fin du siècle passé, madame Hermine ouvrait un magasin de glace dans la rue Rittweger à Juslenville. Le petit commerce se tenait dans l’habitation familiale. On venait y chercher son cornet avec d’une ou deux boules. Les goûts n’étaient pas variés: vanille, chocolat…
Avant la seconde guerre mondiale, sa fille Marie Lodez-Hermine ouvre un commerce de glace et de chocolat sur la place du Perron, juste à côté de chez Gaspard, le boucher. A cette époque, il fallait piler la glace pour refroidir la crème. La machine à glace se composait d’un double tonneau et d’une spatule électrique pour mélanger le précieux liquide. Le tonneau le plus grand contenait la glace pilée et le plus petit, la crème glace. Deux, trois, quatre fois par semaine, un marchand venait de Verviers livrer des blocs de glace que l’on conservait dans une glacière en pierre installée dans la cave. La variété des goûts était à peine plus étoffée qu’à l’époque de madame Hermine: vanille, chocolat, pistache, fraise. Le citron a fait son apparition à la fin des années 70, à peu près en même temps que la crème fraîche.
Ce qui restera sans doute le plus longtemps dans la mémoire des clients, c’est tout le cérémonial qui accompagnait la confection d’un cornet de glace. Rappelez-vous, vous entriez: dans le petit magasin où il faisait toujours très propre. (Selon les dires de mon grand-père Lodez, on dépensait plus pour les produits d’entretien que pour la nourriture ! ). Vous étiez alors écouté par Léa, la fille. Celle-ci traduisait à sa maman votre commande. Ce moment de traduction occasionnait parfois quelques sueurs froides au client. Celui-ci avait commandé un cornet deux boules de vanille, mais le résultat final oscillait entre un cornet deux ou trois boules avec du chocolat en prime. Alors pour satisfaire le client on voyait parfois Léa, diplomatiquement dire à sa maman: » non UN CORNET DEUX BOULES DE VANILLE » en articulant le mieux possible. Malgré cette surdité, ma grand-mère gardait une envie d’écouter le client et surprenait souvent son auditoire lorsque par enchantement elle avait tout compris … Dire que la glace conserve n’est un secret pour personne, mais de là à penser que madame Lodez continua à faire de la glace jusqu’à 94 ans, cela relève presque du livre des records.
Et pourtant, la fin de sa vie ne fut pas rose. Elle dut déménager à la fin des années 80. Beaucoup ont cru à ce moment que cela en était fini de la glace Lodez. Mais n’écoutant que leur envie de vivre pour leur commerce, les deux dames Lodez décidèrent de rouvrir rue du Roi Chevalier. La maman décéda en 1993. Un moment hésitante, Léa choisit pourtant de poursuivre la tradition familiale. Mais cette fois-ci, c’est bien fini. Contrainte une fois encore de déménager, mademoiselle Léa Lodez ferme sans appel son commerce. Voilà donc l’un des plus vieux commerce de notre entité qui disparaît laissant sans doute encore quelques beaux souvenirs à tous ses clients.
Alexandre Lodez
Pays de Franchimont 613 juin 1997