Lorsque notre Bourgmestre Jean GILLET apprit avec consternation que son ami et prédécesseur Martin BOUTET (venait de décéder, il ne put s’empêcher de se reporter en pensée quelques années en arrière et de se rappeler la similitude des événements tragiques qui marquent impitoyablement la carrière des hommes de cœur.
C’étaient ses collègues Sénateurs Pierre MIESSEN, Bourgmestre d’Andrimont, et Hubert PAROTTE, Bourgmestre de Verviers, qui furent tour à tour terrassés en pleine force de l’âge par cette terrible et diabolique maladie qui leur rongea la vie, jour après jour, et auxquels notre maïeur apporta toujours, ainsi qu’à leur famille, le réconfort de sa grande amitié et l’envoûtement de sa gentillesse.
Et, dans ces cas aussi, le courant passait bien entre eux, malgré les différences de conception politique absolument mises hors de question car l’amitié réciproque de ces hommes avait quelque chose de sublime et de pathétique. Ces deux maïeurs-là aussi s’en sont allés…
Il n’y a pas bien longtemps, la « Retraite de l’Empereur » à Desnié voyait affluer des hommes et des femmes de tous les horizons à l’occasion de la célébration des Noces d’Or de Martin BOUTET et de son épouse Ils étaient venus participer à la joie, à la fête, prendre part, leur part, de bonheur et l’ajouter à celui toute une famille réunie dans une félicité merveilleuse. Aujourd’hui, c’est la tristesse qui gonfle les cœurs et le ciel couleur de plomb s’associe vraiment à ce dernier adieu à notre Bourgmestre honoraire. Et la mission de retracer les grandes lignes de la carrière du défunt incombait tout d’abord à Jean GILLET. Il le fit en ces termes :
« Mesdames, Messieurs,
On ne peut résumer dans un discours la carrière communale de Martin BOUTET tant elle fut longue et dense. Tout au plus peut-on en retracer les grandes lignes en souligner quelques traits majeurs.
Elu conseiller communal, il siégea dans notre Assemblée, sans interruption, du 20 janvier 1939 au 31 décembre 1982, soit 43 ans. Comme, parallèlement, il avait exercé les fonctions d’employé communal à Trooz de 1929 à 1946 et comme, en 1941, il avait été diplômé des cours provinciaux de sciences administratives, c’est en homme expérimenté déjà qu’il entra au Collège des Bourgmestre et Échevins en 1947, assistant le Bourgmestre Lucien CARO en tant que Premier Echevin.
Ses connaissances administratives, son expérience de la gestion lui permirent, dès le 21 janvier 1953, de revêtir l’écharpe mayorale. Il devait la porter jusqu’au 31 décembre 1976, c’est-à-dire durant 23 ans. Devenu le premier magistrat de la commune, il allait bientôt doubler cette fonction d’une autre, tout aussi importante, mais de caractère national le 11 avril 1954, en effet, il était élu membre de la Chambre des Représentants, mandat qu’il allait remplir jusqu’au 7 novembre 1971.
Toutes ces responsabilités politiques, Martin BOUTET allait les assumer en Theutois je devrais presque dire en Juslenvillois ayant séduit Theux. Fier de sa commune, soucieux de l’embellir, de la doter des commodités modernes, inlassablement, il allait partager son temps entre l’Hôtel de Ville et le Palais de la Nation, sans jamais oublier de traiter à Bruxelles les dossiers de Theux qui pourraient y recevoir quelque subside.
Omniprésent, siégeant au Syndicat d’Initiative, suivant de près la C.A.P. et la marche du Home Franchimontois, Président d’Honneur de notre corps de Sapeurs-Pompiers, il connaissait ses concitoyens, les sociétés de la commune, les divers coins de notre terroir. Connaissance qui lui fut bien précieuse puisque, à partir de 1968, frappé de cécité, il put, grâce à sa connaissance exceptionnelle des lieux et des gens, continuer à gérer durant huit années notre cité.
Nous savons de quel secours, en ces années difficiles, lui fut son épouse, lectrice et secrétaire dévouée. Qu’elle se souvienne, en ce jour de peine et de deuil, du rôle irremplaçable qu’elle a joué auprès de son mari et qui a permis à Martin de surmonter les adversités qui risquaient d’entraver sa carrière. S’il a terminé celle-ci en toute beauté, s’il a pu couler jusqu’à présent des jours heureux, c’est à elle et à ses enfants, pleins d’attentions, qu’il le doit.
Au nom du Collège, du Conseil communal et de tous les Theutois que nous représentons, nous disons aujourd’hui un dernier merci à notre Bourgmestre honoraire. Il a servi Theux avec dévouement, ténacité, clairvoyance, gardant toujours la tête froide et inébranlable, la volonté de bien faire. Quelle plus juste récompense pour celui qui nous quitte que de savoir qu’il a honoré les fonctions auxquelles ses concitoyens l’avaient appelé et de pouvoir dire, dans la paix de l’âme, mission accomplie.
Adieu, Martin ! »
Suivirent les allocutions de M. MAWET et de M. DESAMA, rendant hommage aux qualités du défunt et soulignant les services exceptionnels qu’il rendit largement à son parti, sans compter ses peines ni regarder à son temps.
Lentement, le cortège funèbre se mit en branle, drapeaux en tête ; les enfants des écoles de Juslenville portaient d’innombrables bouquets de fleurs ponctuant deux haies interminables qui encadraient la foule immense, sérieuse et recueillie, s’acheminant vers le cimetière de Juslenville.
Chacun et chacune se souvenaient ; nos pensées se pressaient dans notre esprit en entamant cette grimpette après avoir quitté la rue Rittwéger, ce chemin si souvent emprunté par Martin. Il l’avait voulue plus belle, plus large, «sa» chaussée de Sohan, arborée comme il se doit, bordée de coquettes villas jouant à cache-cache avec la chapelle Fyon en contrebas et le bois de Sohan dans le fond, tandis qu’à l’ouest de l’horizon, Les Villers, Pouillou-Fourneau-art832], Raborive, [Rondehaye (tous ces noms familiers qui chantaient clair à ses oreilles) s’étageaient dans la belle campagne juslenvilloise jusqu’à ce Tancrémont du Vieux Bon Dieu, raccordant, su la ligne de l’horizon, le paysage au ciel.
On avait tout le temps de se recueillir, de revivre des souvenirs lointains, sur ce chemin paisible qui aboutit à un ensemble harmonieux de fleurs et e verdure soigneusement entretenu par l’incomparable famille Brouwers, et le cimetière était déjà là, tout proche, tout propre et tout net, tel que Martin l’avait modelé avec opiniâtreté, bien spacieux et clair parce que le visiteur doit se sentir l’envie de bien le respecter, de se recueillir facilement et de revivre par la pensée tout ce qu’il avait voulu donner à chacun d’entre nous et aussi offrir aux siens, à sa famille, à sa grande communauté theutoise.
Aujourd’hui, avec une étonnante sérénité, notre maïeur s’en est allé ; il repose désormais dans une paix profonde, au milieu de ses fidèles juslenvillois, sous sa bonne terre franchimontoise qui lui sera légère, légère, éternellement.
André Dumont
Pays de Franchimont 483 août 1986