Colas Donat
Qui de nous, Theutois, n’a jamais entendu parler de Dolas Dônat, personnage débonnaire dont la douce folie était de se croire commissaire de police de Theux. Un petit subside, qu’il recevait du B, de B. le fortifiait dans cette illusion naïvement, il le considérait comme son traitement de fonctionnaire.
Il naquit le 3 décembre 1 823, sa jeunesse fut loin d’être heureuse et quoique d’esprit assez faible, jamais on eut à lui reprocher aucune action blâmable ; jusqu’à sa mort, la famille P. Corne (maison Mignot) l’hébergea dans une de ses dépendances.
Pour le complaire et s’en amuser, certaines personnes lui avaient fait cadeau de vieux uniformes, de képis, de sabres, ainsi que de grosses médailles, souvenirs de festivals.
Représentez-vous Colas, la démarche lourde, en grande tenue, veste militaire, arborant des médailles étincelantes, sabre au côté, le képi coiffant une bonne tête chenue et dodelinante, décorée d’une grosse moustache et barbiche grises ; cette parodie de vieux grognard de Napoléon, quoique quelque peu navrante, engendrait le rire. Quand son service lui permettait, traînant une charrette à bras, il faisait le messager entre Theux et Verviers ; c’était surtout dans ces fonctions qu’on pouvait juger de sa grande honnêteté.
Par exemple, il lui arrivait de ramener de Pepinster des mannes de pains et de biscuits et, mourant de faim, les remettre à destination sans avoir soustrait un seul biscuit.
Une autre fois que chargé par une personne de Theux de reprendre au magasin Charlier, à Verviers, rue de l’harmonie, un gilet de fantaisie assez coûteux, le pauvre bonhomme, de retour à Theux, fut bien désolé de constater la disparition du gilet. Il ne prévint pas M. Nag. du vol, mais quelques jours après, celui-ci recevait son gilet ; ce ne fut que plus tard qu’il apprit par M. Charlier que Nicolas en avait commandé et payé de sa pauvre bourse un second, identique au premier.
Toujours il aimait venir en aide à plus malheureux que lui ; un geste, témoignant de son bon cœur, c’est que malgré ses maigres ressources, il avait adopté un chien errant et ne l’attacha jamais pour l’aider à tirer sa lourde charrette.
Il aimait beaucoup la musique; aussi pas de cortège dans la commune sans notre commissaire à côté de la bannière, sabre au clair et fier comme Artaban ; rarement, il manquait un enterrement. Peu de Theutois se souviennent encore de son voyage à Liège où il accompagnait « L’Union Fraternelle » qui allait se produire Place Saint-Lambert.
Les auditeurs liégeois ne furent pas peu surpris de voir un vieux policier dans un uniforme assez pittoresque s’efforçant de maintenir l’ordre dans les alentours du kiosque. Quelques loustics vinrent féliciter ce gardien inconnu et lui offrirent un petit verre à une terrasse voisine ; malheureusement, Colas, toujours très sobre, fut bientôt hors combat. Titubant outrageusement et le képi sur l’oreille, notre héros fut repéré par le président de l’U. F., M. Alex. Caro et Jean Moson qui parvinrent à le ramener à la gare sous les yeux stupéfaits et sous les éclats de rire des passants, voyant ce pseudo-policier enmené entre deux civils.
Une autre fois, la fanfare avait décidé de participer à un festival à Anvers ; le jour du départ, Colas, dans sa plus belle tenue et à l’heure fixée, était à la gare ; mais, cruelle déception, la société était partie un train plus tôt. Le pauvre homme, le cœur gros et la bourse bien légère, voulait partir sur Anvers à pied ! ! Voyant la détresse du pauvre homme, Guil. Boutet, camionneur de l’État et quelques personnes présentes se cotisèrent et lui payèrent son ticket; après quelques péripéties, notre voyageur arriva enfin à destination.
Jugez de la stupéfaction des membres de l’U. F. quand le cortège passant sur une place publique, ils aperçurent leur vieux commissaire dans un garde-à-vous impeccable, saluant sa société. Un instant après, Colas, fêté par ses concitoyens, rejoignait son vieux drapeau et finalement, fut logé en leur hôtel ; seulement, faute de lit disponible, il dut se contenter d’un grand coffre où il fut quelque peu brimé par ses trop joyeux compagnons.
On aimait aussi le mystifier ; un jour que Tancrémont avait été le théâtre d’un sérieux pugilat, un farceur s’en fut trouver Colas, lui portant l’ordre fantaisiste d’aller indaguer sur place.
N’écoutant que son devoir, il abandonne son occupation, revêt son uniforme, boucle son ‘ceinturon et le képi en bataille, l’air important, se dirige sur Tancrémont où il fit son enquête consciencieusement, rendez-vous compte !
Fonctionnaire modèle, un ordre, soit-disant officiel,ne le trouvait jamais récalcitrant ; combien de fois, par un froid de loup, le pauvre homme, esclave d’une consigne imaginaire, demeurait en faction, ici ou là, et rentrait en son logis à moitié gelé. C’était curieux de voir le visage rayonnant de notre… commissaire, quand les garde-champêtres Jos, Létargez ou A. Jason l’avait salué militairement.
L’hiver, les mauvais temps l’obligeant à abandonner la messagerie, quelques commerçants lui confiaient des essuie-mains, mouchoirs, etc. afin d’aller les vendre dans les villages environnants ; malheureusement, en vieux chapeau melon, sans uniforme et sans boniment, notre vieux perdait tout son prestige ; hélas ! les affaires n’étaient guère brillantes.
Mais où il retrouvait toute sa forme, c’était quand il jouait la comédie ; eh oui ! un groupe de jeunes gens de Theux allait de temps à autre donner des concerts à Marteau et à La Reid ; Colas, toujours très correct, aimait les accompagner. Ces jeunes hommes, qui composaient leurs saynètes et leurs pantomimes eux-mêmes, trouvaient toujours moyen de lui confier un petit rôle. Notre commissaire, en grand uniforme, l’oeil brillant, passait et repassait majestueusement sur la scène, sous les acclamations et les bravos du public, qui, lui, aimait aussi Colas Donat. C’était certainement les plus belles heures de sa pauvre existence.
A Theux, pendant bien des années, d’un personnage aimant le panache, on disait : « C’est on Colas Dônat ».
Enfin, voilà quelques bribes de la vie de ce pauvre homme, demeurant seul, que rarement on voyait rire, ne vivant que pour ses hochets, et qui, un jour, le 28 novembre 1896, abandonnant ses rêves et son service nous quitta pour un monde meilleur, emportant avec lui le souvenir des habitants de notre région et escorté par les marches funèbres de l’Union Fraternelle, qui tenait à rendre les derniers honneurs à notre vieux commissaire de Theux.
A l’instar des grandes villes qui se targuent de leur Mannekenpis, Tchantchet, Arrèdgi-Tchâle, Chat-volant, Bihin, etc., Theux eût son « type » préféré et qui n’est certes pas légendaire, un pauvre mais combien honnête homme… Colas Dônat.
Regn. Tieffels
Pays de Franchimont n°7, juillet 1952