Durant trente ans, Monsieur Fernand Deroanne s’est consacré entièrement à son Ecole libre d’application. Nombreux sont les anciens élèves qui, par son enseignement de qualité, ont acquis une excellente formation et obtenu de brillants résultats.
Monsieur Deroanne est retraité, le Pouvoir Organisateur, l’Association des Parents, le Comité de Construction, les enseignants, les anciens élèves et amis de l’école désiraient lui témoigner leur reconnaissance pour tous les services qu’il a rendus chez nous.
Notre ancien instituteur et chef d’école ne souhaitait pas être l’objet d’une manifestation publique. Nous respectons le désir de celui qui, tout au long de sa carrière, a œuvré dans l’intérêt de l’école et de la paroisse avec grand cœur et profonde humilité. Son dynamisme, ses grandes qualités d’homme qui aime beaucoup les petits, ses convictions religieuses lui ont permis de nous léguer une école vivante et soucieuse de répondre aux besoins de tous les enfants.
Tous lui ont témoigné leur reconnaissance en partageant un repas, en lui offrant un signe tangible de leur amitié… Au cours de ces manifestations intimes, les anciens de Saint-Roch lui rappellent les belles heures vécues à l’école, en conférence pédagogique, en excursion, et quelques souvenirs personnels ; les actuels remercient leur chef, ils soulignent le souci de liberté et de justice qui animait le responsable de leur école. Le pouvoir organisateur retient la formation des enfants et les résultats qu’ils obtiennent après leur école primaire. Monsieur le Curé met l’accent sur les convictions religieuses profondes de celui qui nous quitte un peu. Et, au nom de tous les anciens élèves. Paul Mathieu fait revivre l’esprit qui régnait dans la classe de son « maître ».
« Monsieur Deroanne,
Nous venons aujourd’hui pour vous fêter et nous n’allons donc pes vous ennuyer avec un long discours. Permettez-nous cependant de vous dire en quelques mots pourquoi nous tenons absolument à vous remercier maintenant qu’officiellement du moins, vous avez quitté la vie dite « active ».
Nous tous, les centaines de gamins dont vous n’avez devant vous qu’un bien maigre échantillonnage, vous nous avez connus tout petits, calmes ou, plus souvent, turbulents, illettrés encore, totalement ignorants même, et malgré cela bien plus disposés à jouer qu’à vous aider à combler le gouffre qui nous séparait encore des grands de sixième année.
Du courage il vous en a fallu beaucoup, de la persévérance bien plus encore, et de la patience, une dose inouïe. Combien d’heures, en fin de compte, consacrées personnellement à chacun d’entre nous, sans jamais vous énerver, perdre votre sang froid, ni même élever la voix ou renoncer à répéter, répéter et toujours répéter les mêmes choses, tant nous étions disposés à commettre sans cesse les mêmes erreurs. Mais toute patience a des limites et maintes fois vous nous avez donné l’occasion d’approfondir conjugaisons et tables de multiplications
L’école, vous l’avez vue grandir et se transformer. A quelle heure arriviez-vous donc chaque matin pour raviver le feu du poêle à charbon, source d’une abondante fumée asphyxiante, mais sans lequel toute la classe aurait succombé à une pneumonie puisque même quand il donnait le maximum de sa chaleur, nous n’avions parfois pas encore de trop avec nos cagoules et nos écharpes pour résister dans les vieux locaux humides, royaume des gouttières et des courants d’air.
Ensuite, pendant que la troisième année préparait ses exercices de mathématiques (que l’on n’appelait pas encore « modernes »), vous dictiez aux grands de quatrième le texte qu’il vous faudrait corriger le soir, en surveillant l’étude, peut-être, ou alors à la maison où votre épouse, à ce que l’on dit, voyait parfois se libérer quelque tension accumulée par notre faute durant la journée.
Après la classe, pendant que, certains jours, Monsieur le Vicaire enseignait dans un léger tumulte aux candidats acolytes quelques rudiments de latin pour le Credo ou le Confiteor, vous appreniez le solfège puis le chant aux volontaires, avant de vous astreindre au pénible travail administratif que les fonctions de directeur d’école vous imposaient. Toute la journée d’ailleurs, il vous fallait régler les petits comme les grands problèmes ; et aucun ne manquait d’aboutir chez vous : une maman qui veut vous voir, un petit qui est malade, des craies pour Monsieur Hardy, à quelle heure les confessions, l’arrivée du vitrier, du plombier ou, pire, d’un inspecteur… Pas de trêve le samedi, on ne connaissait pas plus le week-end que la dominique et, en fin d’année, que de préparatifs et de laborieuses répétitions pour la remise solennelle des prix dans la salle du cercle, traditionnelle réjouissance pour petits et grands qui clôturait en apothéose l’année scolaire, pour les élèves tout au moins.
Quand nous vous rencontrons aujourd’hui, nous vous disons « Bonjour Monsieur Deroanne », « Bonjour Monsieur le Directeur » peut-être, mais bien rares sans doute sont ceux qui vous disent encore « Bonjour Monsieur le Maître » ou tout simplement « M’sieur l’Maître » ! Voici cinquante ans. c’était pourtant toujours ainsi qu’on saluait son instituteur et l’expression était bien évocatrice. Car plus que notre instituteur et notre directeur, c’est notre maître que vous avez été. Vous n’étiez pas seulement là pour enseigner le calcul, l’orthographe ou le catéchisme, mais bien pour être notre guide, un conseiller et un exemple pour toute notre vie. En effet, si certains ont continué des études, c’est que vous leur en avez donné et le goût et les possibilités ; quant aux autres, vous êtes toujours pour eux la principale source de connaissance. C’est peut-être parce que nous nous en servons tout le temps et d’une façon tellement automatique que nous oublions trop facilement que, par votre enseignement, vos conseils et votre exemple, à un moment capital de notre vie, vous avez constitué une solide base pour toute notre existence.
Ainsi donc, et nous y voilà, le meuble que nous vous offrons aujourd’hui n’est que bien peu de chose face aux efforts que, des années durant, vous avez déployés pour nous.
Ce n’est là qu’un symbole de la reconnaissance que nous vous portons, tant il est vrai que, s’il fallait aujourd’hui et en une fois vous rémunérer sur base des critères actuels pour tout ce que vous avez fait pour nous au-delà des étroites limites de votre strict devoir professionnel, c’est tout le budget du Ministère de l’Education nationale qui s’en trouverait ébranlé.
Nous espérons qu’à défaut de pouvoir ainsi vous combler ce modeste cadeau vous apportera néanmoins à vous et à Madame Deroanne une satisfaction renouvelée par son quotidien, à chaque jour d’une vie que vous poursuivrez longtemps encore, animé d’une activité aussi intense dans l’avenir que par le passé.
Paul Mathieu.
A Monsieur et Madame Deroanne, nous redisons merci et souhaitons de vivre de très nombreuses années en s’accordant un peu de repos bien mérité.
Pays de Franchimont 8 aout 1978