Requiem pour le vieux cimetière
Novembre ramène inévitablement nos pensées vers nos disparus et vers leur champ de repos. A Theux, durant de nombreux siècles, les défunts ont été inhumés dans le cimetière entourant l’église des SS Hermès et Alexandre mais en ces temps-là, cet endroit était en outre un refuge pour les habitants et leurs troupeaux lors des incursions, malheureusement très fréquentes, de bandes de pillards ou même de soldats traversant le pays et se conduisant en brigands.
Ainsi, au 17ème siècle, la surface du cimetière était beaucoup plus importante,il s’étendait vers l’ouest jusqu’au bord du Wayot, du côté sud empiétait largement sur ce qui est maintenant la rue Chaussée. De solides murailles l’entouraient, des tourelles s’élevaient aux différents angles et une solide porte de bois en fermait l’entrée. Si vous ajoutez la tour-forte de l’église avec ses meurtrières et ses hourds[[Galerie de bois établie au sommet des murailles d’un château-fort pour pouvoir en battre le pied (faite en pierre c’est un machicoulis). ]], la nef aux murs épais et aux petites fenêtres placées très haut et munie, elle aussi, de tourelles d’angles en bois, on se trouve devant un véritable camp retranché.
Le cimetière abritait également la marguillerie, maison du marguillier, sacristain, chantre, employé aux écritures et maître d’école et les enfants s’y rendaient pour recevoir l’enseignement.
Fin du 18ème siècle, le cimetière va être réduit à sa surface actuelle. En 1768, on recule la muraille ouest pour faire place à la chaussée Liège-Spa, un peu plus tard on fait de même avec le côté nord et les pierres tombales enlevées sont encastrées dans les nouvelles murailles. La marguillerie est démolie et remplacée par une nouvelle habitation en face de l’église.
En 1786, on place aux deux entrées les belles grilles, œuvre du theutois Hubert Jason et le cimetière redevient un champ des morts à part entière.
Début du 20ème siècle, l’administration décide de construire un nouveau cimetière à la route de Mont et les inhumations vont se faire de plus en plus rares et cesseront définitivement dans les années 1930, aussi les plus vieilles tombes qui résistent encore datent du 19ème siècle, parmi elles, celles de Laurent-François Dethier (+ 1843), le leader de la révolution franchimontoise et promoteur du Congrès de Polleur. Son épitaphe, devenue illisible, énumérait tous ses titres [[Juriconsulte et avocat -Ancien membre du Corps législatif en France (conseil des cinq-cents) et du congrès royal de Belgique -décoré de la croix de fer- Ancien juge à la Cour Suprême de Liège -plusieurs fois bourgmestre et dernier échevin de la Cour de Justice du ban de Theux – Correspondant à l’Académie celtique de Paris et de sociétés savantes.]].
Le monument abrite aussi son épouse (+ 1847), l’aîné de ses fils Aristide (+ 1871), l’inventeur de la mine du Rocheux et sa fille Marie-Jeanne (+ 1846). Un dossier pour la restauration de ce mausolée dort dans les dossiers de l’administration. Dommage, cette année, 150ème anniversaire de sa mort aurait été bienvenue pour une inauguration!
A quelques mètres, voici la concession des comtes de Pinto, châtelains de Hodbomont restaurée, elle! Dans la pelouse centrale, on repère une importante construction funéraire, le triple cénotaphe de la famille Zoude qui habitait un bel immeuble en retrait de la rue Hovémont, entouré d’un beau parc[[Cette propriété a été achetée par les religieuses «Les Filles de la Croix» pour y établir un pensionnat pour jeunes filles. C’est actuellement la section A de l’école libre.]], le père Désiré, pharmacien mort en 1844, ses deux fils, Désiré, avocat à Liège, mort en 1835 et Léopold, médecin à Theux, mort en 1864.
Si vous ne craignez pas de vous aventurer dans la jungle qui règne le long des murailles, vous pourrez découvrir une série de noms qui évoquent la vie à Theux en ce 19ème siècle. Ainsi une institutrice primaire, Lambertine Gustin décédée à l’âge de 35 ans et 6 mois; une religieuse Swister Mathilde Wissemberg, supérieure du Carmel de Theux (+ 1881) ou Elizabeth Forster, en religion sœur Marie-Carmel, victime de Jésus (+ 1886); un peintre Ono Tidens, habitant en Hovémont (+ 1902), il avait travaillé à la restauration du plafond de l’église en 1871, il avait repeint totalement les caissons extérieurs aux motifs décoratifs. Le médecin Henri-J-Antoine Dandrimont, conseiller provincial et bourgmestre de Theux de 1851 à 1853, année de sa mort. On remarque aussi un tombeau important, celui de la famille Charlier, des artistes sans doute si on en croit l’inscription gravée «Les Arts sont le portique des Cieux», puis dans un endroit grillagé les sépultures de la famille Lejeune de Sohan, le long du mur de l’église, deux énormes cyprès abritent la sépulture de Leguèridon, un maître-serrurier et Jean Mertens, un peintre, tous deux ayant vécu place du perron dans la maison, annexe droite de l’ hôtel de ville, et bien d’autres noms encore: les de Marteau, Nagant, Foulon,etc….
Relevons parmi les pierres tombales incorporées dans les murs du cimetière, celles de Noël Poncelet (+ 1559), le meunier de Theux; Thomas Le Hardez (+ 158?) échevin; Lambert Fraipont (+ 1663) et Pasquéa Boniver (+ 1636), bourgmestres; Pasquéa Jason de Juslenville (+ 1709), maître de forge et marchand et aussi Lambert Houdre, maître-cuisinier des seigneurs de Lynden (+ 1657) et sa femme Catherine Antheine (+ 1677) et là aussi etc…
Notre vieux cimetière a donc tout un passé historique à côté de notre célèbre église-halle romane et mériterait lui aussi d’être protégé. Jusqu’à ces derniers temps, c’était un havre de paix, un endroit reposant et pas du tout morbide, les tombes vieillissaient doucement, les pierres se fendillaient peu à peu, les inscriptions commençaient lentement à s’effacer, une croix s’écroulait de temps à autre mais depuis peu, de vigoureux jeunes arbres bousculent sans respect les pierres; les herbes folles, les orties et autres végétations s’emparent sans retenue de tout l’espace et l’aspect des tombes le long des murs est devenu lamentable. Si l’on n’y prend garde, on atteindra bientôt un point de non-retour et il n’y aura plus qu’une solution: le bulldozer. Est-ce cela que l’on attend?
Pour les Chroniqueurs du Marquisat: A. GONAY
PDF 570, Novembre 1993