Les Theutois, vers 1900, utilisaient encore, dans leurs discussions en wallon ou en français-wallon, des expressions bizarres dont la signification n’était connue que par des Theutois. Les habitants hors commune ignorant qu’elles se rapportaient à des événements ou anecdotes locales ne pouvaient en deviner le sens. En voici quelques exemplaires relevés dans un manuscrit de Regnier Tieffels, collaborateur du Pays de Franchimont pendant de très longues années.[[Regnier Tieffels (1879-1969). Il avait débuté sa collaboration avec le Pays de Franchimont en février 1949 et ses articles (histoire, légendes et folklore) parurent jusqu’en novembre 1971.]]
«Fé l’tchampène so l’Thier dè Djibet» (picorer sur le Thier du Gibet) : être pendu ou, hélas, se pendre.
«Su sérèt co on ermite po Stockis» (ce sera encore un ermite pour Stockis) : en parlant d’un jeune homme, victime d’une désillusion d’amour. Allusion à une jolie légende où un jeune ménestrel, amoureux de la fille du châtelain de Franchimont, s’était installé sur les hauteurs de Stockis pour apercevoir la maison de sa belle et peut-être la belle elle-même.
«Pipire-Canon, rôleu d’prihon» (habitué de prison) : Pîpire-Canon était un brigand ayant sévi dans la région de Theux vers la fin du 17ème siècle. C’était probablement un déserteur d’une des nombreuses armées qui traversaient et ravageaient notre pays en ce siècle dit de malheur. Ne connaissant pas le français, on n’a jamais compris le nom qu’il prononçait, cela ressemblait à Pîpire-Canon. Cela devint son nom. On supposait qu’il devait vivre dans une cabane dans le bois de Staneux, puis, un beau jour, il disparut à tout jamais. Ses exploits très nombreux, voyageurs détroussés, vols de toutes sortes dans maisons et jardins…furent le sujet de bien de discussions en cette époque au point que son nom était parvenu, jusqu’il y a encore cent ans, pour désigner un bandit.
«On tigneu po la vedge» (un teigneux pour la verge) : insulte similaire à la sus-dite. Allusion à une coutume relevant de la justice. Lorsqu’un délit avait été commis, il était proclamé du haut des marches du Perron. Puis le dimanche suivant, un sergent d’armes se tenait au haut des marches de l’église et tendait la Verge de Justice, un grand bâton rouge sous laquelle chaque paroissien devait passer. La Verge aurait dû s’abattre sur le coupable.
«Abonne â trô a hotchets» (abonné à la cave aux briquettes). Sous ce nom, on désignait le rez-de-chaussée de l’hôtel de ville où se trouvait la réserve de ce type de charbon, mais aussi la prison ! Y être abonné n’était pas une référence. Plus tard il y eut le bureau des contributions et aujourd’hui c’est le local du R. Syndicat d’Initiative et de son accueillant personnel.
«I vou co fé volé Djacob» (il veut encore faire voler Jacob). Fin du XVIIIe siècle, Jacob était un proche (serviteur ou ami) de Robert de Limbourg qui habitait, place du Perron, une maison jointive à l’hôtel de ville. Ce médecin était surtout un géologue renommé et un passionné des sciences mécaniques. Il avait inventé, entre autres, une machine à voler. Il l’avait fait expérimenter par Jacob depuis les hauteurs du Tillot. Mais l’expérience échoua et Jacob fit un plongeon, sans trop de mal, dans une prairie. On employait cette expression pour parler d’une personne qui voulait réaliser une nouveauté.
«Led come lu märticot d’a zoude» (laid comme le singe de Zoude). Léopold Zoude (1802-1862) habitait une belle propriété, rue Hovémont, sur le site de l’actuelle École Libre (section A). Il était médecin, mais s’était fait une réputation non usurpée de farceur. Un jour, rentrant de voyage, il ramène chez lui un singe apprivoisé. Avec cet animal, il fit pas mal de facéties. Comme la maison était séparée de la rue par une grille, il y attachait régulièrement son animal. Lorsque l’animal mourut, il lui fit un enterrement dans le parc, engageant, pour le cortège funèbre, de pauvres diables à qui il avait donné de l’argent. Ce simulacre provoqua un scandale à Theux et, pour se faire pardonner, il offrit à l’église un beau lampadaire pour illuminer le chœur.
«I monte come lu ru d’targnon» pour désigner un homme qui s’emporte très vite. Allusion à la rapidité avec laquelle certains de nos cours d’eau se gonflaient en cas de fortes pluies.
«Il ouver po l’trô del caillette» (Il travaille pour le trou de la caillette) : autrement dit, c’est un ivrogne invétéré. La caillette était une fente pratiquée dans le comptoir d’un café, juste au dessus du tiroir-caisse. On y glissait donc la monnaie du buveur. Ce mot caillette est inconnu des dictionnaires tant français que wallons. Peut-être était-ce une particularité uniquement theutoise ?
Ces expressions ont complètement disparu dans le vocabulaire des anciens et je pense que même nos concitoyens amoureux de la langue wallonne n’en ont jamais entendu parler mais elles auront eu le mérite de remémorer quelques endroits de Theux avec leur anecdote.