LE VILLAGE DE SPIXHE
Le bourg principal de la commune de Theux est établi dans un élargissement de la vallée du Wayai, à peu près à égale distance (7 1/2 kilomètres) de Spa et de Pepinster. Rejoint par les hameaux de Juslenville, au nord, de Marché et de Spixhe, au sud, il forme avec eux une agglomération pour ainsi dire continue, que couronne une ceinture de villages verdoyants, installés à mi-côte des collines environnantes.
L’antique hameau de Spixhe s’est accru d’une partie moderne, appelée le Chivrou, qui comporte actuellement vingt-neuf habitations où vivent cent-neuf âmes, et qui n’entrera pas dans le cadre de notre petite étude.
Il est divisé en trois sections d’inégale importance, par les bandes presque parallèles de la route et de la rivière. Celle-ci y fait son entrée en s’accompagnant d’un biez qu’elle alimente dans la bourgade d’amont, et dont elle reçoit les eaux à sa sortie, en même temps que celles du Targnon, venues du fond si pittoresque de Lourlaine.
Ce nom de Spixhe, qui a pour graphies anciennes, les formes: Spyxhe et Spiexhe, a retenu depuis longtemps, l’attention des étymologistes, dont la sagacité s’est vainement exercée sur les radicaux latins suivants : pix (poix), piscis (Poisson), pyxus (buis), specus (grotte, caverne) et spica (épi), voire même sur le vieux vocable roman pexhe (pêche).
Le village repose sur des terrains que les géologues dénomment assise de Mariembourg de l’étage famennien, une des roches les plus anciennes de l’écorce terrestre, et qui est constituée par des schistes. On en voit des affleurements assez importants dans la colline de Heid Copette, qui surplombe la route. Mais, c’est en vain qu’on y chercherait le fossile caractéristique, un brachiopode nommé Rhynchonella Dumonti, de la forme et de la grosseur d’une noisette, que nous avons trouvé en assez grande abondance, à Sasserotte, dans le prolongement de l’assise.
De temps immémorial, le hameau posséda un moulin banal, où les manants de la juridiction devaient faire moudre leur grain, moyennant une redevance qu’ils payaient au détenteur du fief.
Celui-ci était, le 29 novembre 1412, Henri de Marteau, et sa famille le conserva, de façon presque continue, jusqu’à la fin de l’ancien régime. Le dernier suzerain fut Philippe J. Joseph de Marteau (17 juillet 1793).
Mais l’antique moulin avait été détruit en 1468, lors du passage des troupes bourguignonnes. Il fut relevé peu après la mort de Charles le Téméraire. Il tomba à la longue, de vétusté et il fut remplacé par un autre qui disparut dans les premières années du XXe siècle, pour permettre la construction, sur son emplacement, d’une fabrique de machines écrémeuses. Feu le docteur Mairlot de Marteau, de Theux, qui en était alors propriétaire, recueillit la clé d’arc de la porte cintrée, qui portait les armes de la famille de sa femme, et la fit encastrer dans un mur extérieur de son cabinet de consultations.
Les de Marteau exercèrent encore au pays de Franchimont, la charge de haut forestier héréditaire, qui était un fief de la principauté de Liége. Un acte du 2 décembre 1412 dit que le personnage susmentionné, Henri de Marteau, fit, devant la cour féodale de Liège, le relief de la foresterie héréditaire de Franchimont, du moulin banal de Spixhe et de la tierce part du patronage de l’église de Sougné.
Le forestier portait aussi le titre de haut gruyer héréditaire de la Porallée miraculeuse Dieu et Saint Pierre et commune Saint-Remacle. Il avait entre autres droits, celui de chasser, avec lévriers et faucons, sur tout le territoire de la foresterie ; il bénéficiait des amendes résultant des délits commis dans les forêts de sa juridiction et partageait le patronage de la cure de Sougné avec les seigneurs de Montjardin et d’Aywaille.
D’autres membres de cet ancien lignage franchimontois furent investis des fonctions honorables de maïeur ou d’échevin de la haute cour de justice de Theux, de maïeur de la cour des tenants, de lieutenant-gouverneur de Franchimont, de commissaire ou de bourgmestre de la ville de Theux, de mambour, etc. Et, par des alliances matrimoniales, ils s’apparentèrent avec les familles des maîtres de forges locaux : les de Limbourg et les Boniver, ainsi qu’a celles des de Presseux et des Fraipont.
La maison portant le n° 53 présente, dans la clé de sa porte charretière, un écusson sculpté aux armes des de Marteau : en chef, une année (un axe de moulin) et en pointe, un marteau. Quoique fruste, cet écusson laisse encore distinguer son millésime : 1618 et son monogramme J M (Jean Marteau).
Le biez dont nous avons parlé plus haut, était un coup d’eau destiné à mouvoir la roue du moulin. Nous n’avons pu savoir quand il fut octroyé ; ce fut probablement dans les premières années du XVIe siècle, comme ceux qui actionnèrent les hauts fourneaux d’Oneux (22 janvier 1504) les forges, les marteaux, les mackas ou les platineries de Marché (18 février 1498), de Theux (4 décembre 1512) de Juslenville (6 mars 1512). La concession de ces coups d’eau appartenait au prince-évêque, qui déléguait l’administration de son domaine à la Chambre des Comptes. Un cens très minime était perçu, uniquement pour rappeler au concessionnaire que le seigneur était le propriétaire de la rivière.
Au cours du XVIe siècle, Spixhe vit s’élever sur son petit territoire, quelques maisons de bois qui furent détruites sous le règne sanglant de Philippe II.
Dans l’une d’elles, avait vécu Isabeau de Spiexhe, qui fut, pendant 25 ans, abesse du couvent Sainte-Elisabeth, de Liège, et y construisit la chapelle ogivale. Elle mourut le 16 mars 1624, après 40 ans de profession. La pierre tombale est aujourd’hui encastrée dans un mur extérieur du musée Renier de Verviers. Elle est représentée debout, les mains jointes, et soutenant du bras gauche, la crosse abbatiale. Cette effigie, qui a un mètre de hauteur, est posée sous une arcade, dont la clé de l’arc présente un blason à 5 fuseaux, ce qui permet de croire que cette vénérable personne était alliée à la famille des Fraipont, qui portait les mêmes signes nobiliaires.
Le XVIIe siècle fut une époque de grande activité industrielle et commerciale pour notre pays. Aussi, l’on vit s’élever partout des constructions importantes. dont l’hôtel Curtius, de Liège, constitue le prototype. Spixhe, après Theux, qui ne tarda pas à imiter la capitale, suivit le courant de la mode du temps. Il abandonna résolument les maisons de bois, proie facile pour !es incendies, et il édifia de charmantes petites demeures en calcaire et en briques, avec croisillons de pierre aux fenêtres, carreaux irisés maintenus par des lamelles de plomb, linteaux de portes historiés, fers d’ancrages aux façades, corniches simples, ou corbeaux, toitures d’ardoises surmontées d’épis en forgé, hautes cheminées en briques avec chaînages calcaire aux angles. Il en subsiste encore d’intéressants spécimens : ce sont les maisons portant les numéros: 5 (1616), 61, 62, 68 (1662) et 64 (1684), C’est dans l’une d’elles, probablement dans la dernière citée, que naquit, le 14 octobre 1757, Laurent François Dethier, une notoriété de notre pays, dont les nombreux titres figurent sur son tombeau, dans le cimetière de Theux, à gauche de la porte d’entrée de l’église.
Dethier a joué un rôle important dans les événements la Révolution, au marquisat, dont il fut l’inspirateur et l’animateur. Il convoqua le Congrès franchimontois de 1789 et en dirigea effectivement les opérations. Il fut légué au Tiers-Etat et s’y signala par la violence de ses idées montagnardes. Il fit une propagande active pour provoqué la réunion de la principauté à la France. Il séjourna Iongtemps à Paris, jusqu’à ce que l’avènement de Napoléon qu’il exécrait, le renvoya définitivement à Theux, où il passa ses années de retraite, à publier quelques brochures et à en ébaucher d’innombrables sur les sciences naturelles. Davieux l’avait surnommé le Nestor des géo1ogues belges. Il mourut le 1er juillet 1843.
La deuxième maison située en bordure de la route Spa, à l’entrée du village, était occupée, vers le milieu du siècle dernier, par un sieur Jehin. On y perçut le droit barrière ou d’octroi, qui était une taxe communale levée sur certaines denrées destinées à la consommation locale dès leur entrée dans l’agglomération. Ce droit vexatoire fut aboli, à l’initiative de Frère Orban, par la loi du 15 novembre 1866.
Terminons le rappel de ces petits faits historiques, disant que l’industrie traditionnelle de la vallée, la platinerie, se continua dans un atelier situé vers le haut de la grande voie de communication.
Toutes ces images vieillottes, ces décors archaïques, détachent sur un fond de verdure, qu’auréole, sur les hauteurs d’alentour, une sombre chevelure de bois et de forêts composés principalement de résineux. Façonnés par milieu, qui est si proche de la Perle des Ardennes, les autochtones ont une douceur de caractère, une mâturité d’esprit teintée d’un léger scepticisme, qui les distinguent aisément de ceux des autres villages de Theux.
Au 31 décembre 1936, Spixhe comptait une population de 196 âmes, dont la plupart des adultes sont occupés dans les fermes locales ou dans les ateliers et usines Theux. Il est pourvu, depuis plus de vingt ans, d’une distribution d’excellente eau alimentaire et il constitue un centre très attractif de belles promenades. A la belle saison, il est parcouru par de nombreux touristes qui s’y attardent volontiers et des villégiateurs y font des séjours plus ou moins prolongés dans des maisons confortablement installées.
En 1916, la Ville de Liège a établi, à proximité de cet endroit si salubre et si paisible, une Colonie permanente d’enfants débiles.
François Boniver