Vous surprendriez bien des Theutois en les interrogeant sur l’ancienne carrière de marbre noir de notre localité; beaucoup n’en ont jamais entendu parler, d’autres ne savent même pas où elle se situe. Cependant, la renommée de son beau marbre noir a, depuis des siècles, franchi nos frontières et que, ne s’arrêtant pas aux frais considérables occasionnés par les longs transports, l’étranger n’a pas hésité à s’en procurer pour rehausser la splendeur de ses édifices.
Il va de soi que si cette antique carrière est si peu connue chez nous, la légende qui s’y rattache est certes ignorée de bien de nos concitoyens. Nos anciens Theutois la connaissent sous le nom de « l’histoière du les neûres pîres ».
Que de polémiques suscitées depuis toujours à propos du nom et de l’origine de notre bourg, mais ce dont nous sommes certains, c’est que nos carrières, déjà exploitées par les Romains, furent abandonnées pendant des années et que nos ancêtres les remirent en activité et en ouvrirent de nouvelles.
Les plus anciennes se trouvent à Timonheid, Stockis, route d’Oneux et à la Boverie.
Il y a plusieurs siècles, cette dernière était la propriété d’un habitant de Mont, qui l’exploitait avec ses deux fils. Ils demeuraient au centre du village qui ne comptait alors que quelques maisons. Pour se rendre à leur chantier, nos Montois empruntaient toujours un petit sentier qui passait par « Sur les Heids ». Or, en ces temps reculés, dans nos contrées, on parlait beaucoup de sorcières, de loups-garous, de macrales, etc… et Theux, comme toute région qui se respecte ne demeurait pas en reste.
Traqués par la Bête du Staneux, loups-garous, et macrales déguerpirent de cette forêt; les uns se réfugièrent aux environs de Fays, les autres élurent domicile sur le Stockis. On racontait que leur quartier général se trouvait sur la carrière de Jevoumont et qu’elles tenaient souvent leurs agapes à la Boverie et Sur les Heids. En effet, ce dernier endroit, un piton de rocher, émergeant de la terre, était désigné sous le nom de « Pîre â 7 macrales ».
Un jour, dans le but de réduire les frais d’extraction, nos carriers envisagèrent de franchir le ruisseau du Wayot et de s’attaquer également au massif se dressant vis à vis. Cette résolution à peine mise à exécution, eut le malheur de déplaire aux macrales qui n’admettaient aucune intrusion de ces ouvriers dans le domaine, où elles recevaient leurs congénères des environs, aussi, se promirent-elles de leur faire subir toutes les avanies possibles pour les écarter de leur refuge préféré. A peine quelques sondages furent-ils pratiqués que nos hommes furent molestés par ces dames; mais malgré leurs sévices, ils continuèrent leurs travaux. C’est alors que furent déclenchées les grandes hostilités, mais en vain. Nos carriers, têtus, ne se découragèrent pas. Voyant l’inutilité des leurs efforts; elles appelèrent Satan à la rescousse et un matin le Wayot abandonnant son lit, avait inondé le nouveau chantier. L’inondation fut enrayée et les travaux continuèrent. Quelques jours après, ils ne furent pas peu surpris de constater que les pierres, au fur et à mesure de leur extraction, perdaient leur couleur normale et se teintaient subitement en gris sale. Elles étaient à peine convenables pour empierrer les chemins.
Le maître carrier qui ne savait à quel saint se vouer, eut alors la bonne inspiration de faire exorciser la carrière hantée, ce qui provoqua la retraite des sorcières et macrales du lieu. Malheureusement, l’esprit du mal en rage, ne désarmait pas et les pierres demeurèrent inutilisables. La situation très tendue, devenait de plus en plus tragique; un dimanche soir, un des fils du carrier revenant de Theux par le chemin habituel, vint culbuter sur une vieille souche. Le lendemain, on le retrouvait mort à cet endroit.
Après de vaines enquêtes, un prêtre vint bénir « lu pîre â 7 macrales » ce qui eut pour résultat de porter leur rage à son paroxysme. Pas un an après, le père et son dernier fils avaient trouvé une mort identique, toujours sur le même chemin; entre temps, leur demeure à Mont avait été complètement anéantie par un incendie.
A Mont, une petite niche, logeant une Notre Dame, fut installée sur l’emplacement de la maison incendiée et l’étroit chemin témoin des trois morts accidentelles, porte encore aujourd’hui le nom de « Voie des mwèrts ». Des mains pieuses plantèrent une humble croix aux deux extrémités.
Il est plus que probable que le petit monument qu’on remarque à Mont, n’a aucun rapport avec l’antique ND de ce récit.
La carrière aux pierres sales demeura longtemps inexploitée. D’après la légende, un certain jour, un inconnu qui par hasard visitait la carrière, eut l’inspiration de polir un de ses cailloux et fut stupéfait du résultat de sa petite opération. La pierre était devenue d’un beau noir d’ébène.
Voilà comment cette peu intéressante carrière est devenue la renommée carrière de marbre noir de Theux. La légende assure également que cette transformation quasi miraculeuse, ne s’était pas faite sans condition. Pour combattre les maléfices jetés sur cette exploitation par cette engeance, les premières pierres polies et d’un beau noir brillant qui sortiraient de Theux, devaient servir pour un but sacré. C’est vraisemblablement pour cette raison que, à Liège, déjà, nous remarquons certaines églises dotées de nos beaux blocs de marbre noir, et que nous en rencontrons, entre autres, à Rome notamment dans l’église Saint Pierre.
Ce n’est là qu’une légende, mais ce qui laisse plus ou moins perplexe, c’est l’abandon dans lequel se trouve actuellement cette carrière. La pierre a-t-elle perdu toute sa beauté? le gisement est-il épuisé? ou le mauvais sort s’acharne-t-il encore sur cette exploitation?
R.Tieffels